L’incident dit de
« diplomatique » qui s’est déroulé lors de la cérémonie d’ouverture
des Jeux des îles de l’océan Indien à la Réunion nous conduit à faire une
lecture sur Le temps des humiliés. Dans
ce livre, Bertrand Badie développe une forme de pathologie de relations internationales
basée sur une pratique d’humiliation. Un vocabulaire certes un peu psychologisant,
mais qui est devenu un principe d’organisation du jeu international. Depuis la
chute de mur de Berlin et l’entrée dans un monde posthégémonique, l’humiliation
paraît le passage obligé pour produire la politique étrangère.
mercredi 5 août 2015
jeudi 19 mars 2015
Mouigni Baraka joue son destin politique dans ses jeux d’alliances
En dénonçant tout projet de s’allier
avec le parti Juwa, puis en annonçant sa dernière volonté d’alliance avec ce
parti, Mouigni Baraka mène une stratégie de fluidité, une stratégie qui lui
renvoie dans les limbes. Ce lieu un peu flottant, intermédiaire, d’à-côté, et indéterminé
lui confronte à d’innombrables défis énormes. Telle alliance aura plusieurs conséquences
sur son avenir politique. Sans doute, il peut apporter un supplément de pouvoir
à Sambi, mais sa position au sein de cette coalition JUWA/PEC paraît fragile. Et
pourrait être affaibli par le leader du PEC.
Certes, Fahmi Saïd Ibrahim n’apporte
pas grand-chose au parti Juwa en termes de réserves électorales, mais lui, il bénéficie
de la confiance relative de Sambi lui-même. Quant au gouverneur de Ngazidja, Mouigni
Baraka, malgré son apport politique et de réserves électorales à cette
coalition, il aura du mal à bénéficier de la confiance du Mollah. Grâce à cette
alliance, Mouigni Baraka aura probablement deux conseillers-députés et le président
du Conseil de l’île. Il pourrait également acquérir un capital politique à court
terme, mais ce capital pourrait se transformer très vite en handicap politique lors
des prochaines échéances. Il risquerait même de perdre sa place de gouverneur et
de rendre improbable son rêve de Beit-salam.
De cette alliance, Mouigni Baraka
peut avoir un rôle capital, voire de meneur de jeu au cœur du pouvoir législatif
pendant un an, mais les risques d’être renvoyé au cimetière politique ne sont
pas moindres.
D’un autre côté, toute alliance avec
la coalition de la mouvance UPDC/CRC/RADHI n’est pas non plus facile pour lui,
car elle est aussi semée d’embûches. Autant les relations entre lui et Mamadou
et avec une fraction d’UPDC sont tendues, autant il se trouvera dans une situation
telle qu’il sera obligé de revoir ses ambitions présidentielles. Cette
stratégie de tout changer pour conserver lui permettra de sauver sa place de
gouverneur ou de tenter un poste de valeur égale, ou de vice-président. Pragmatique,
cette stratégie est la plus payante. Car elle lui crée toutes les conditions objectives
de lui faire prolonger la durée de sa vie politique, et peut être même, de lui ouvrir
la voie à des occasions de réhabilitation politique et de son image.
C’est dire que le blocage dont le
Conseil de l’île de Ngazidja est l’objet, et certainement condamnable, n’est
pas seulement le résultat désastreux du déploiement agonistique de certains conseillers
de la mouvance qui se donnent en spectacle de figuration, mais également le
fruit de cette stratégie de tâtonnement dont Mouigni Baraka est le sujet. En arbitre,
son destin et son avenir politique se jouent dans ces derniers instants et dépendent
de l’issue de ce jeu de doublure et de tiraillement.
dimanche 1 février 2015
Législatives 2015: le vote éclaté
Points de vue
Législatives 2015: le vote éclaté
Déficit de l’offre politique, couverture médiatique quasi nulle
Si l’on peut constater que
la sélection des candidats a été au principe d’une légitimité à la fois
intellectuelle, locale, politique… Certains candidats étaient même Docteur en
sociologie, en économie, de hauts fonctionnaires, des cadres d’un parcours
syndical riche, d’anciens ministres… Ce recrutement a été fortement marqué par
le poids du local, plus particulièrement notabiliaire. Ont des chances les ministres,
les hauts fonctionnaires. Sociologiquement, les candidats sont surtout
masculins, d’âge mûr et socialement privilégiés.
mardi 9 septembre 2014
Ahmed Abdallah Sambi ou la fluidité d’une prophétie
Il
y a cinq mois, Ahmed Abdallah Sambi a pris le pouvoir à la suite des
élections libres et sans aucun doute transparentes. On a pu constater
que lors de ces élections, la
majorité des classes politiques, des catégories socioprofessionnelles et
associatives se sont en majorité ralliées à cette figure d’apparence
prophétique.
La croyance de sa prophétie – contre la misère, la pauvreté et pour l’espoir
– a été tellement forte que le doute sur ses fondements demeurait
improbable. Ainsi, une sorte de consonance cognitive s’est instaurée
dans les structures mentales, et l’issue même était vite considérée
comme irréversible.
Il
est moins utile de montrer comment s’est construite cette figure
prophétique qu’incarne aujourd’hui Ahmed Abdallah Sambi, individu-parti,
puisque nous avons déjà effectué cet exercice de réflexion par ailleurs[1].
Toutefois, alors que le doute sur la validation de la croyance
sambienne émerge, des demi-insatisfactions apparaissent et certaines
ambiguïtés se profilent, il est très intéressant de se poser quelques
questions sur la réalité de la croyance quant à la capacité de Sambi à
changer la société par sa prophétie.
Que
se passe t-il quand une prophétie réussit ? Comment s’opère t-il le
décalage entre la croyance et les faits établis ? En clair que se
passera t-il si Sambi échoue ou réussit ?
Nous
avons constaté que depuis 1999, une forte mobilisation d’action
collective se met en marche, l’intérêt à la politique s’érode et
l’action militante se faufile au dépens de l’action partisane. Le
dérèglement du jeu et de la croyance à
la représentation politique a été au principe de l’émergence de cette
nouvelle figure de captation de vote qu’est cet individu-parti.
Les électeurs, du fait de leur niveau d’instruction plus ou moins élevé et de la porosité des frontières, ont rompu avec la confiance qu’ils ont entretenue avec les hommes d’appareils pour renouer avec des hommes sans appareils.
Or,
ce glissement de la confiance aux hommes d’appareils à celle aux hommes
sans appareils n’a pas fait long feu. Une brèche des sentiments
d’insatisfaction commence à se manifester, à prendre forme de
contestation, au mieux d’invalidation de la croyance. D’où notre seconde
question principale : comment la croyance ou la certitude cède la place au doute ? Ce passage pourrait s’expliquer entre autre par certains faits et gestes[2] :
- La proclamation de soulever la question de Mayotte sur la table de discussion onusienne, puis son retrait[3]
– ce qui a suscité la dénonciation du comité Masiwamane- n’a pas
produit moins d’effets sur la contestation de la croyance. Mais ce n’est
pas que cela seulement qui a anticipé cette conversion de confiance et
par conséquent de son invalidité.
- Pendant
la campagne présidentielle, Sambi, le prophète, n’a pas cessé de se
définir comme un homme de changement, capable de rompre avec les
pratiques anciennes…Cette belle promesse souffre aujourd’hui d’une
entorse grave[4].
Et on ne peut que s’étonner de le voir inviter à son plais, les «
dinosaures » puis les notables, deux catégories qui ont participé et
participent encore à l’effondrement de la communauté politique et
nationale – effet du séparatisme[5]
- alors que les jeunes et les femmes, les catégories
socioprofessionnelles – les ouvriers, les paysans voire les cadres sont
relégués aux oubliettes. On peut négliger l’impact de ces invitations,
mais elles sont révélatrices de la crise doctrinaire qui affecte déjà
celui qu’on croyait être
centriste. Au lieu d’être ce qu’il a à être, il sort du clivage
centriste pour se classer dans l’axe de droite de droite, allergique aux
changements, donc conservateur.
Quand la prophétie réussit
Delà,
nous pouvons restituer notre problématique. Que se passe t-il quand la
prophétie réussit ? Deux effets sont possibles. Le premier effet c’est
l’avènement d’une possible libération cognitive qui désigne un processus
par lequel les électeurs ou les citoyens décodent les ouvertures, les
fluctuations des conjonctures politiques. Le triomphe de Sambi issu du
champ militant les laisse entendre que tout changement de
représentation, notamment partisane, leur serait défavorable, et de ce
fait, les schèmes d’appréciation et de choix se focalisent sur un homme
sans appareils au dépens d’un homme de parti. Ce type de situation
produit une politisation protopolitique.
Au lieu que les individus entretiennent un rapport politique avec les
institutions et avec la politique, ils développent des réseaux
individualisés avec les hommes de pouvoir dans
lesquels les intérêts et les demandes sociales ne seront plus
canalisés, représentés par des canaux institutionnalisés, canonisés et
légitimes mais par des groupes restreints fondés sur la logique de
bande, et de défi de l’honneur ( enjeu proprement coutumier) et sur la
petitesse natale. C’est ce qui est arrivé par exemple aux jeunes
iconiens qui s’en sont pris à la radio de Ngazidja par le seul fait que
l’enfant du village, Saïd Ali Kemal, a été critiqué par cette radio –
celui-ci n’a pas condamné cette violence.
L’individu,
au lieu de concevoir, d’exprimer son mécontentement au travers des
bases d’institutions politiques préfère s’exprimer dans des forces
centrifuges. Cela, parce que la fonction assignée aux partis se trouve
défigurée. Et les entreprises politiques auront du mal à changer la
donne.
Quand la prophétie échoue
En
revanche, en cas d’échec, les choses se passeront autrement.
L’invalidité de la croyance ou de la prophétie offre aux croyants trois
attitudes possibles. La première est celle de la défection (exit),
c'est-à-dire ceux qui croyaient en Sambi vont cesser de croire, donc,
abandonner la croyance en sa capacité de réaliser la prophétie. La
deuxième attitude est celle de la loyauté. Là, les individus continuent à
croire malgré le décalage entre le récit et la réalité. Dans cette
option, ils vont continuer à croire et à imputer la cause du retardement
de la réalisation prophétique à une force extérieure. En disant que si
Sambi n’arrive pas à réaliser ses promesses, cela ne veut pas dire que
celles-ci sont fausses, ou sa prophétie est mal fondée , mais c’est la
faute de la France ou de
l’ancien régime. Ils essaieront donc
de rationaliser. La troisième option, est celle de la prise de parole
(voice) et prend la forme d’une contestation, et d’une invalidation de
la croyance – effet de dissonance cognitive- au mieux d’une révolution
contre les hommes politiques et les institutions qui pourraient prendre
la forme de nihilisme politique.
Dans tout les cas, rien ne présage un climat heureux pour la consolidation de l’Etat. En cas de réussite, les institutions de représentation seront affaiblies, en cas d’échec, elles seront effondrées.
De
ce fait, pour offrir une alternative possible entre l’affaiblissent et
l’effondrement, les hommes politiques ont intérêt à offrir une structure
d’opportunités en encourageant l’action collective autour des
associations de consommation, de l’enfance, des salariés….tenant lieu de
politisation non pas protopolitique mais politique ; en
renforçant les institutions locales, instruments de démocratisation à
la base et de promotion d’égalité des sexes ; de contrecarrer le jeu des
notables pour mieux protéger la liberté de l’individu et assurer la
participation citoyenne ; de concilier l’éthique de foi religieuse et de
la dévotion avec l’esprit d’investissement et du travail ; enfin de
lutter contre les trappes au chômage, une condition nécessaire pour redonner entre autre la dignité de la personne et le sentiment de fierté nationale.
Pour relever ces défis, Sambi
ne devrait en aucun cas gouverner selon l’humeur de la rue ou selon le
défi de l’honneur (sous prétexte de satisfaire les notables) mais selon
les principes républicains qui font que les hommes politiques soient
hommes d’Etat, forts et respectueux de leurs convictions politiques.
M’SA ALI Djamal,
Paru dans Kweli, 16 septembre 2006
Paru dans Kweli, 16 septembre 2006
[1] Lire « le vote d’une crise de représentation : l’émergence d’un individu-parti», Kweli, N° 14- avril 2006.
[2]
On peut citer aussi l’arrestation de certains journalistes d’une façon
expéditive sans aucune préalable enquête ou actuellement le conflit
entre le ministre de la justice et les magistrats.
[3] On peut supposer que cette déclaration médiatique a été une stratégie « du faible» à tirer profit, de
la France
, d’une aide financière en échange du report, et donc en sacrifiant provisoirement tout en instrumentalisant les enjeux diplomatiques au profit des enjeux intérieurs.
[4] Que dire pour un homme de justice et de changement qui confie la question contre la corruption à des gens qui ont travaillé avec les accusés pendant l’ancien régime ?
[5] Lire Azad Halifa, De Marseille aux Comores : Entrée en politique d'une jeunesse issue de l’immigration, éditons De
La Lune.
Le parcours "sous surveillance” des émigrés comoriens en France
Djamal
M’sa Ali est un essayiste prolifique. Malgré son jeune âge, il livre
avec les étudiants comoriens de France et leurs parents son troisième
ouvrage, publié cette fois aux Editions Kalamu des îles. Il y a trois
ans, il avait déjà commis un premier livre, “La dynamique de
l’Histoire”. Puis, il a réitéré avec “Luttes de pouvoir aux Comores”,
publié aux éditions De La Lune, dont “Témoignages” s’est fait l’écho.
Dans son
dernier essai, l’auteur a sensiblement les mêmes défauts et qualités que
dans l’ouvrage précédent. Cette fois, nous mettrons d’abord en avant
les inconvénients de son essai. Ceux-ci concernent avant tout le
caractère faiblement scientifique de ses affirmations. Quand l’auteur
indique qu’il a réalisé des enquêtes, on ne sait pas combien, ni
comment, etc... Or, de ce panel somme toute limité, il tire des
conclusions qui, parfois, semblent définitives. Plus grave, l’auteur
propose quelques assertions sans nous indiquer comment il y est parvenu.
On a parfois l’impression, en forçant le trait, que citer Bourdieu lui
suffit. La vérité de ce sociologue s’impose sans que l’auteur se donne
la peine de prouver pourquoi. De façon moindre, le style et la syntaxe
demeurent souvent hésitants.
Une fois ce travail de critique effectué, il faut reconnaître de nombreuses qualités à l’analyse de Djamal M’sa Ali. Au niveau des lectures, l’essayiste a non seulement parcouru quelques classiques de la sociologie, que ce soit Erving Goffman ou Alfred Schütz, mais il a aussi étoffé ses sources en ayant recours aux études portant sur son pays ou encore à un spécialiste de l’émigration : Abdelmalek Sayad. De ce dernier, il emprunte le modèle émigré-immigré qui consiste à « explorer les histoires sociales des étudiants émigrés-immigrés comoriens, non pas simplement à partir de la société d’immigration mais également à partir de la société d’émigration et en commençant par elle ». (p9).
Dans son ouvrage, Djamal M’sa Ali montre bien à quel point la colonisation a complètement bouleversé les structures de pouvoir au sein de la société comorienne. Jusqu’alors, la coutume était toute puissante. Ne pouvait obtenir le pouvoir que celui qui avait accompli le “grand mariage”. A partir de 1841, donc de la colonisation, lentement mais sûrement, le capital culturel amené par l’école va devenir plus important que celui acquis par la coutume. Pour l’auteur, il s’agit de la première rupture à l’origine de l’émigration comorienne. Le second facteur a été l’imposition de l’école. Elle fournit, à ceux qui la fréquentent, une autre façon de voir. Enfin, la troisième rupture se situe dans le fossé qui se creuse entre ceux qui se convertissent à l’école et les autres. Les premiers, issus de la noblesse urbaine, effectuent une réelle ascension sociale ou conservent leurs positions. Alors qu’auparavant, la légitimité de leur pouvoir était due à la coutume, ils sont dorénavant aux plus hauts postes grâce aux formations qu’ils ont acquises. Quant aux seconds, ils sont déclassés plus ou moins vite. Ils se réfugient alors dans le champ coutumier ou émigrent pour ne pas vivre dans leur société d’origine leur déclassement : ce dernier cas est appelé « émigration de réfection » par l’auteur.
Les premiers à émigrer en France ou en Afrique sont les fils de notables urbains, avant la Seconde Guerre Mondiale. Avec leurs diplômes, ils obtiennent des places enviées. Ce n’est qu’au cours des années 70 que les fils de paysans imitent cette tendance. Cela provoque une inflation des diplômés, et en même temps, la dévaluation des titres universitaires. Certains notables urbains réinvestissent alors le domaine du pouvoir coutumier pour pouvoir jouer de leur capital culturel mais aussi coutumier afin de conserver leurs positions.
De plus en plus d’étudiants sont alors envoyés en France. Malheureusement, ces derniers ont à subir une forte pression de la part de leur entourage. Un certain nombre d’entre eux échouent dans « leur mission ». Ils rejettent l’Université ou ne reviennent pas aux Comores pour ne pas avoir à affronter l’opprobre de leurs proches.
Néanmoins, l’imaginaire des gens restés au pays prend très tardivement conscience de cette réalité. Les locaux ou “Je-reste” sont fascinés par l’argent dépensé par les “Je-viens” (ou Comoriens exilés en France qui rentrent). Et on peut citer ici les propos relatés dans le livre d’Ahmed, employé de la Voirie de Paris : « Un Comorien rentré au pays sans dépenser le moindre sou de façon exagérée est vite considéré comme un raté. Les gens lui manquent de respect. On le catalogue, on le méprise. Les gens vont jusqu’à l’éviter. C’est pour ça que certains se tuent pour économiser, afin de paraître riche et heureux durant leur séjour ». (p107). Djamal M’sa Ali tente d’expliquer ce phénomène d’occultation collective par ces mots : « L’acte d’émigrer est de plus en plus coté, “les Je-viens” rentrent en scène par les stratégies de dissimulation partagées et collectives de production de la magie sociale qu’ils se donnent pour cultiver la représentation d’eux-mêmes, et pour entamer la représentation des autres (les cadres), par la tricherie qui, collectivement, occulte leurs malheurs dans toutes ses formes et cache la vérité nue de leurs conditions objectives, de leur expérience migratoire ». (pp.79-80).
Enfin, l’auteur aborde alors quelques-uns des problèmes rencontrés par les étudiants comoriens en France : les difficultés financières, l’obligation de réussir qui pèse sur eux, une intégration peu aisée.
Il raconte notamment que ceux qui ne se soumettent pas à la coutume sont oubliés. Leur réussite en Occident n’est pas considérée aux Comores car ils ont trahi : « Et vivant trop simplement leur émigration scolaire loin du groupe, les malentendus deviennent “roi”, et la disgrâce et le bannissement, la “reine”. Les privilèges (culturels) qu’ils prétendent tirer de leurs titres, de leur “égoïsme”, sont considérés comme l’expression de leur échec. Et ils deviennent, aux yeux du groupe, des ratés ». (p150). Après avoir posé la transgression que suppose une réussite individuelle plus grande que celle fixée par le groupe, l’auteur s’intéresse aux relations intrafamiliales et note :
« Les notables traditionnels imposent à leurs enfants de réussir dans la vie, mais à condition qu’ils ne les dépassent pas, qu’ils ne commettent pas un acte meurtrier contre le père, une transgression ». (p181).
En bref, cet ouvrage propose de nombreuses hypothèses de travail intéressantes tout en demandant des confirmations sur plusieurs points.
Matthieu Damian, Source: Temoignages
Une fois ce travail de critique effectué, il faut reconnaître de nombreuses qualités à l’analyse de Djamal M’sa Ali. Au niveau des lectures, l’essayiste a non seulement parcouru quelques classiques de la sociologie, que ce soit Erving Goffman ou Alfred Schütz, mais il a aussi étoffé ses sources en ayant recours aux études portant sur son pays ou encore à un spécialiste de l’émigration : Abdelmalek Sayad. De ce dernier, il emprunte le modèle émigré-immigré qui consiste à « explorer les histoires sociales des étudiants émigrés-immigrés comoriens, non pas simplement à partir de la société d’immigration mais également à partir de la société d’émigration et en commençant par elle ». (p9).
Dans son ouvrage, Djamal M’sa Ali montre bien à quel point la colonisation a complètement bouleversé les structures de pouvoir au sein de la société comorienne. Jusqu’alors, la coutume était toute puissante. Ne pouvait obtenir le pouvoir que celui qui avait accompli le “grand mariage”. A partir de 1841, donc de la colonisation, lentement mais sûrement, le capital culturel amené par l’école va devenir plus important que celui acquis par la coutume. Pour l’auteur, il s’agit de la première rupture à l’origine de l’émigration comorienne. Le second facteur a été l’imposition de l’école. Elle fournit, à ceux qui la fréquentent, une autre façon de voir. Enfin, la troisième rupture se situe dans le fossé qui se creuse entre ceux qui se convertissent à l’école et les autres. Les premiers, issus de la noblesse urbaine, effectuent une réelle ascension sociale ou conservent leurs positions. Alors qu’auparavant, la légitimité de leur pouvoir était due à la coutume, ils sont dorénavant aux plus hauts postes grâce aux formations qu’ils ont acquises. Quant aux seconds, ils sont déclassés plus ou moins vite. Ils se réfugient alors dans le champ coutumier ou émigrent pour ne pas vivre dans leur société d’origine leur déclassement : ce dernier cas est appelé « émigration de réfection » par l’auteur.
Les premiers à émigrer en France ou en Afrique sont les fils de notables urbains, avant la Seconde Guerre Mondiale. Avec leurs diplômes, ils obtiennent des places enviées. Ce n’est qu’au cours des années 70 que les fils de paysans imitent cette tendance. Cela provoque une inflation des diplômés, et en même temps, la dévaluation des titres universitaires. Certains notables urbains réinvestissent alors le domaine du pouvoir coutumier pour pouvoir jouer de leur capital culturel mais aussi coutumier afin de conserver leurs positions.
De plus en plus d’étudiants sont alors envoyés en France. Malheureusement, ces derniers ont à subir une forte pression de la part de leur entourage. Un certain nombre d’entre eux échouent dans « leur mission ». Ils rejettent l’Université ou ne reviennent pas aux Comores pour ne pas avoir à affronter l’opprobre de leurs proches.
Néanmoins, l’imaginaire des gens restés au pays prend très tardivement conscience de cette réalité. Les locaux ou “Je-reste” sont fascinés par l’argent dépensé par les “Je-viens” (ou Comoriens exilés en France qui rentrent). Et on peut citer ici les propos relatés dans le livre d’Ahmed, employé de la Voirie de Paris : « Un Comorien rentré au pays sans dépenser le moindre sou de façon exagérée est vite considéré comme un raté. Les gens lui manquent de respect. On le catalogue, on le méprise. Les gens vont jusqu’à l’éviter. C’est pour ça que certains se tuent pour économiser, afin de paraître riche et heureux durant leur séjour ». (p107). Djamal M’sa Ali tente d’expliquer ce phénomène d’occultation collective par ces mots : « L’acte d’émigrer est de plus en plus coté, “les Je-viens” rentrent en scène par les stratégies de dissimulation partagées et collectives de production de la magie sociale qu’ils se donnent pour cultiver la représentation d’eux-mêmes, et pour entamer la représentation des autres (les cadres), par la tricherie qui, collectivement, occulte leurs malheurs dans toutes ses formes et cache la vérité nue de leurs conditions objectives, de leur expérience migratoire ». (pp.79-80).
Enfin, l’auteur aborde alors quelques-uns des problèmes rencontrés par les étudiants comoriens en France : les difficultés financières, l’obligation de réussir qui pèse sur eux, une intégration peu aisée.
Il raconte notamment que ceux qui ne se soumettent pas à la coutume sont oubliés. Leur réussite en Occident n’est pas considérée aux Comores car ils ont trahi : « Et vivant trop simplement leur émigration scolaire loin du groupe, les malentendus deviennent “roi”, et la disgrâce et le bannissement, la “reine”. Les privilèges (culturels) qu’ils prétendent tirer de leurs titres, de leur “égoïsme”, sont considérés comme l’expression de leur échec. Et ils deviennent, aux yeux du groupe, des ratés ». (p150). Après avoir posé la transgression que suppose une réussite individuelle plus grande que celle fixée par le groupe, l’auteur s’intéresse aux relations intrafamiliales et note :
« Les notables traditionnels imposent à leurs enfants de réussir dans la vie, mais à condition qu’ils ne les dépassent pas, qu’ils ne commettent pas un acte meurtrier contre le père, une transgression ». (p181).
En bref, cet ouvrage propose de nombreuses hypothèses de travail intéressantes tout en demandant des confirmations sur plusieurs points.
Matthieu Damian, Source: Temoignages
mercredi 21 mai 2014
Cris dici et dailleurs avec Halidi Allaoui
Un livre de poèmes qui se lit et qui se crie, des vers de révolte qui expriment la situation de déchirement d’un poète immigré souffrant de la souffrance des enfants des îles Lune.
lundi 19 mai 2014
La chronique de la semaine :La motion de censure, le casse tête de Mouignui Baraka
Les conseillers de l’Ile de Nagazidja ont déposé une motion de censure contre l’exécutif de l’Ile. Finalement, ça sert à quoi une motion de censure? Une motion de censure, mais qu'est ce que c'est ?
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